Vulnérabilité et adaptation du système énergétique

PROBLEMATIQUE D'ENSEMBLE

De par sa contribution aux émissions de gaz à effet de serre, le secteur énergétique est généralement plutôt associé à la problématique de l’atténuation plutôt qu’à celle de l’adaptation aux changements climatiques. Toutefois, la prise en compte des impacts potentiels des changements climatiques sur le secteur énergétique tend maintenant à s'imposer, du fait des risques d’impacts non négligeables sur les systèmes énergétiques que représentent les variations climatiques moyennes et extrêmes, et aussi à cause des effets croisés possibles entre les politiques d’atténuation dans le secteur énergétique et la résilience climatique du secteur, certaines options énergétiques à faibles émissions pouvant présenter une vulnérabilité climatique importante.

Rappelant l’importance de tenir compte de ces risques à long terme étant donné la longue durée de vie de nombreuses infrastructures énergétiques, le récent rapport de la Banque Mondiale (Ebinger and Vergara, 2011) présente une vue d’ensemble des liens potentiels entre les changements climatiques futurs et le secteur énergétique :

  • Changements des besoins saisonniers de chauffage et climatisation: probable augmentation des besoins d’énergie pour le rafraîchissement en été et baisse des consommations de chauffage en raison d’hivers plus doux ;
  • Modification de l’efficacité des installations requérant refroidissement (centrales thermiques, centrales nucléaires, procédés industriels, etc.);
  • Risques de dégradation, rupture et destruction d’installations de production et de desserte lors d’événements extrêmes (inondations, tempêtes, etc.) ;
  • Variations des potentiels d’énergie renouvelable ; 
  • Difficulté potentielle de satisfaction des besoins en certaines saisons (typiquement, baisse de la disponibilité de centrales thermiques et nucléaires, réduction de l'hydroélectricité en été, tandis que la demande pourrait augmenter).

Extraits du rapport de Ebinger et Vergara (2011)

https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/2271

Survol de litérature


Selon Eskeland et Mideksa (2011), l’augmentation des demandes de climatisation des pays d’Europe du sud est estimée largement dépasser la baisse en demandes de chauffage.

 Mima and Criqui (2009) évaluent la diminution de la demande de chauffage en Europe (EU27) à 17% en 2050 et 35% en 2100 pour une augmentation de 2°C.

 Les impacts des changements climatiques sur l’efficacité des centrales nucléaires, et plus largement, des centrales thermiques à refroidissement en cycle ouvert, sont estimés comme suit: une augmentation de 1°C de la température du fluide refroidissant est considérée réduire l'efficacité de 0.15 à 0.25 points de pourcentage, et la capacité de production de 0.45 à 0.75% (la température de l'eau est considérée augmentée de 0.6-0.8°C pour une augmentation de température de l'air de 1°C) (Van Vliet M. et al., 2012; Linnerud et al., 2011). Förster et Lilliestam J. (2010) proposent différentes mesures d’adaptation pour limiter ces impacts, tels que : le choix de technologies de refroidissement plus efficaces, la planification temporelle judicieuse des périodes de révision des centrales, le choix de sites appropriés et l’installation de centrales de plus petite taille dans le cas de nouvelles installations.

Selon Rubbelke and Vogele (2011), les stratégies d’adaptation autonome de la production d’électricité, au niveau Européen, pourraient comprendre une réduction de production électrique dans certains pays tels que la France, compensée par l’importation d’électricité d'autres pays. Les impacts sur les prix de l’électricité pourraient être important.

Au plan des pertes de transport et distribution, il est estimé qu'une augmentation de 2°C correspond à des pertes supplémentaires liées aux caractéristiques du réseau de moins de 0.1% de l’électricité consommée (http://www.leonardo-energy.org). Les pertes sont considérées comme linéaires par rapport à la température. Par ailleurs, les impacts des changements climatiques sur les capacités de transit des ouvrages du réseau de transport électrique (en particulier, sur l'IMAP, Intensité Maximale Admissible en Permanence) sont encore mal cernés, d'autant qu'il est estimé que pour les parties de réseau qui devraient être renforcées, ce renforcement aura pour effet de réduire la résistance ohmique et donc les pertes par effet Joule; autrement dit, le surcoût initial pourra être compensé par le gain sur les réduction de pertes (Groupe interministériel Impacts du changement climatique, adaptation et coûts associés en France, 2009). Les risques associés aux ruptures de réseau suite à des événements extrêmes ou feux de forêts peuvent être considérés plus significatifs.

On notera que pour le secteur gazier, l’impact sur les infrastructures ne devrait pas être significatif: le stockage et le réseau de transport gazier sont déjà enterrés. Pour le secteur des produits pétroliers, les infrastructures de distribution sont majoritairement enterrées et ne devraient donc pas subir de contrainte particulière (Groupe interministériel « Impacts du changement climatique, adaptation et coûts associés en France », 2009).

Concernant les infrastructures en zone inondable, selon les travaux du même groupe interministériel, seules deux plateformes nucléaires ont une altitude inférieure à 10 mètres : Gravelines (5,16m) et le Blayais (4,5m). Ces centrales ont déjà subi les adaptations nécessaires, sous forme de renforcement de digues ou de mise en place de murets de protection. Pour les autres centrales, leur altitude actuelle les rend moins exposées à la remontée du niveau de la mer. 

 

ENERGIES RENOUVELABLES

 

Le récent rapport du GIEC sur les énergies renouvelables (IPCC, 2011) reconnaît les incertitudes associées aux impacts des changements climatiques futurs sur les énergies renouvelables. Plus spécifiquement, les impacts globaux d’une augmentation de température sont estimés faibles pour l’énergie solaire, la bio-énergie, l’énergie éolienne et l’hydroélectricité, et non signifiant pour la géothermie et l’énergie marine. Toutefois, des variations importantes sont attendues au plan régional

Du fait de ce niveau élevé d'incertitudes sur la vulnérabilité climatique des énergies renouvelables, Moriarty et Honnery (2012) considèrent que la seule existence de risques potentiels devrait motiver le développement des énergies renouvelables qui contribueront à limiter les risques du changement climatique tandis qu'à l'inverse, plus on attend, plus le potentiel renouvelable risque d'être afffecté par le changement climatique.

 

 

En ce qui concerne l’hydroélectricité, des modifications saisonnières de débits sont attendues, dépendant des régions (Lehner et al., 2005; Kirkinen et al., 2005 ; Hamududu and Killingtveit, 2012; Mukheibir, 2007 ; Iimi, 2007). En France, le Plan national d’adaptation au changement climatique (MEDDTL, 2011) mentionne la possibilité d’une forte diminution généralisée sur la France des débits moyens en été et en automne, des étiages plus précoces et sévères sur l’ensemble du pays, mais une augmentation des débits en hiver sur les Alpes et le Sud-Est, des changements bien plus modérés des débits intenses que des débits moyens. La prise en compte de l’incertitude est d’autant plus importante que les centrales hydroélectriques ont une longue durée vie, et peuvent donc être exposés aux changements climatiques futurs (Moriarty and Honnery, 2012).  Finalement, le GIEC (IPCC, 2011) insiste par ailleurs sur les usages concurrentiels de l’eau et possibilités de conflits futurs face à une ressource peut-être plus rare.

En ce qui concerne les ressources solaires, les études disponibles considèrent que l’irradiation solaire varierait de moins de 1%, avec toutefois un niveau d’incertitude encore très élevé (IPCC, 2011). L’efficacité des panneaux photovoltaïques pourrait aussi être affectée par une plus haute température (Ebinger and Walter, 2011; Moriarty and Honnery, 2012). Le groupe interministériel « Impacts du changement climatique, adaptation et coûts associés en France » (2009) estime par ailleurs que :

 

"pour le photovoltaïque, l'effet du changement climatique sur l'incidence lumineuse est difficile à estimer, l'effet nébulosité pouvant être important et d'autant que le rendement par rapport à la luminosité varie selon les types de cellules solaires utilisées. L'effet de la température sur le rendement des cellules serait de l'ordre de -0,5% par degré supplémentaire : au vu de la progresseion technologique continue des rendements de ces cellules, la perte par effet chaleur de 0,5% par degré semble assez marginale."

 

 

La variabilité saisonnière de la ressource éolienne serait, quant à elle, le facteur ayant le plus d’impact sur le design et l’opération des centrales éoliennes (Ebinger and Walter, 2011; IPCC, 2011).

Il faut aussi noter que les infrastructures de production en énergie solaire et éolienne ont une durée d’exploitation plus courte que les centrales énergétiques classiques: elles peuvent donc techniquement être redéployées plus facilement sur des sites aux conditions de production plus favorables en cas de modification profonde du climat (adaptation) (MEDDTL, 2011).

Les impacts des changements climatiques sur les ressources énergétiques en biomasse sont liés aux pratiques agricoles et forestières et à la disponibilité de la ressource eau (incluant les usages concurrentiels de la ressource). 

 

PISTES D'ADAPTATION

L'adaptation est définie dans le Troisième Rapport du GIEC comme l' "ajustement des systèmes natruels ou humains en réponse à des stimuli climatiques ou à leurs effets, afin d'atténuer les effets néfastes ou d'exploiter des opportunités bénéfiques". Elle peut se traduire par des mesures ex-ante pour limiter l'exposition aux risques, ou ex-post, grâce à des moyens de remise en état rapide.

 

Les mesures d’adaptation relèvent de plusieurs types :

 

  • Adaptation technologique: par exemple, investir dans des technologies de refroidissement des procédés plus efficaces ;
  • Adaptation comportementale: par exemple, modifier l'horaire de travail, mais encore, climatiser plus (souvent appelée une option de "mal-adaptation" puisqu'elle peut contribuer elle-même à renforcer les émissions de gaz à effet de serre).
  • Adaptation opérationnelle : par exemple, modifier le mode d’opération des centrales ; déplacer les calendriers des travaux d’entretiens de certaines unités
  • Adaptation institutionnelle/stratégique : localiser les infrastructures de manière appropriée, anticiper les événements et informer les acteurs, anticiper des achats de capacités manquantes aux pays tiers.

 

Des opportunités de réduction de la vulnérabilité du secteur énergétique résident par ailleurs dans des options pouvant aussi contribuer à l'atténuation des émissions : la promotion des économies d’énergie, le développement des options de stockage de l’énergie, l’implantation de réseaux intelligents facilitant l’ajustement de l’offre et de la demande, l’encouragement des énergies décentralisées et basées dans des zones moins vulnérables.

Il est important aussi d’éviter  une situation de « mal-adaptation », c’est à dire à une situation où la vulnérabilité aux aléas climatique se trouve paradoxalement accrue (par exemple, le recours massif à la climatisation active au lieu de l’investissement dans des matériaux limitant l’échauffement; transfert incontrôlé de vulnérabilité d’un système à un autre ou d’une période à une autre ; sur-adaptation (coût trop important) ou sous-optimale (risque trop important).

Les travaux réalisés dans le cadre de la seconde phase des activités du groupe interministériel « Impacts du changement climatique, adaptation et coûts associés en France » (2009) fournissent des exemples de mesures d’adaptation dans le secteur de l’énergie en identifiant huit mesures prioritaires :

 

  • Développer les technologies de refroidissement de l'air ;
  • Améliorer les procédés de refroidissement des centrales énergétiques ;
  • Rendre les installations énergétiques plus robustes aux extrêmes climatiques ;
  • Généraliser le système de gestion des tranches (décaler les périodes d'entretien des centrales, gérer la demande pour effacer les pics de demande, renforcer les possibilités d'achat à l'étranger, etc.) ;
  • Renforcer les outils de modélisation de l'offre et de la demande en fonction du climat ;
  • Affiner le processus de gestion de crise ;
  • Identifier les structures sensisbles à la remontée du niveau de la mer ;
  • Faciliter le développement d'un cadre bâti réduisant la demande d'énergie, notamment celle de climatisation.

 

La canicule de 2003 en France fournit un exemple de vulnérabilité et réaction du système énergétique français: une augmentation de 4,2 % de la consommation intérieure française a été estimée par rapport à la  même période de l’an passé (32,1 TWh en août 2003, contre 30,8 TWh en août 2002), avec une pointe de 52 700 MW (soit 1 700 MW de plus qu’en 2002) qui s’est située le 5 août à 13h30.  Pour y faire face, les pouvoirs publics, RTE et EDF ont mobilisé tous les moyens possibles : 

 

  • Appels au civisme par les Pouvoirs Publics pour réduire la consommation en électricité : Les consommateurs y ont répondu favorablement. Ainsi, RTE a pu enregistrer le 14 août une baisse de 300 MW - soit l'équivalent de la consommation d'une ville comme Nantes - de la puissance appelée par rapport aux prévisions ;
  • Effacements négociés par EDF avec les grands clients industriels à hauteur de 1700 MW ;
  • Appel aux cogénérateurs (plus de 700 MW mobilisés) ;
  • Réduction des exportations (-15% par rapport à 2002) et augmentation des importations de 107% en provenance notamment de l'Allemagne, de la Belgique, de la Suisse, de la Grande Bretagne, de l'Espagne et de l'Italie ;
  • Mise à disposition de capacités de puissance des filiales étrangères d'EDF (500 MW au travers d'EnBW - filiale allemande) ;
  • Achats sur le marché de gros pour 2800 MW. La plupart des pays européens étant touchés par le même phénomène, les marchés ont été très tendus ;
  • En dernier recours, utilisation des dérogations environnementales. L'utilisation des arrêtés dérogatoires est restée très limitée : entre le 14 et 20 août, seules 4 centrales nucléaires (Bugey, Tricastin, Golfech et Cattenom) et 2 centrales thermiques classiques (La Maxe et Blenod) ont utilisé les dérogations de l'arrêté interministériel du 12 août ou des arrêtés préfectoraux. Aucune mortalité inhabituelle de poissons n'a été constatée à l'aval des centrales nucléaires concernées. Il convient néanmoins d'être prudent quant aux effets à plus long terme des tempértaures constatées dans les cours d'eau, et de continuer d'effectuer un suivi de l'état de ces cours d'eau.

 

 

Source: http://www.industrie.gouv.fr/infopres/presse/Fiche1.pdf

Finalement, adaptation et atténuation s’inscrivent de plus en plus dans une démarche conjointe. En effet, les vulnérabilités climatiques du système énergétique ont un double impact potentiel sur les émissions de gaz à effet de serre elles-mêmes. D’une part, certaines stratégies d’adaptation, telles que l’augmentation du recours à la climatisation, peuvent contribuer à augmenter les émissions de gaz à effet de serre. D’autre part, certaines options d’atténuation, telles que le développement des énergies renouvelables, s’avèrent elles-mêmes dépendantes des changements climatiques futurs, selon les régions où elles sont implantées. Un des défis reconnus au croisement des stratégies d’adaptation et d’atténuation réside dans la satisfaction des nouvelles pointes de demande électrique survenant en été, lorsque l’offre en électricité peut elle-même connaître des difficultés liées aux changements climatiques (production hydroélectrique et nucléaire possiblement ralenties sous l’effet de disponibilité restreinte en eau).

 

Ce que ETEM-AR peut aider à accomplir

- Intégrer le développement harmonieux des technologies de climatisation ; 
- Prendre en compte les possibles difficultés de refroidissement des centrales énergétiques ; 
- Rendre les installations énergétiques plus robustes aux extrêmes climatiques ;
- Evaluer l'efficacité d'un système de gestion des tranches (décaler les périodes d'entretien des centrales, gérer la demande pour effacer les pics de demande, renforcer les possibilités d'achat à l'étranger, etc.) ; 
- Proposer un outil de modélisation de l'offre et de la demande en fonction du climat ; 
- Proposer des politiques de recours pour la gestion de crise;
- Evaluer le potentiel de production locale de biocarburants.

ETEM-SG

Le concept de réseau intelligent apporte de la souplesse à la gestion de l'électricité et peut augmenter la résilience du système énergétique régional. ETEM-SG complète ETEM-AR pour étudier l'effet du développement des réseaux intelligents.

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